Essai de pointillisme urbain
(à l’occasion de l’Europan2005)

 

L'intolérable n'est pas tant dans les violences et les haines entre les classes et les communautés que dans les forces subjectives qui les animent.

Architecturer une urbanité

Double mouvement : favoriser la rencontre des gens dans des lieux qu'ils ont en commun et qu'ils peuvent investir ensemble tout en restant dans un repli sur soi, sur le domestique. Cette oscillation pose la question d'un emboîtement d'échelle de l'entre soi  sur le corps organique social et dans la sphère privé. Mais le cœur du problème est de circonscrire ce qui est tolérable dans cette nouvelle subjectivité de l'entre soi : la distance est maintenant vécue comme un rejet de l'autre. De nouvelles distributions spatiales des hommes selon les richesses et leur adéquations au capitalisme ont conduit à une ville à trois vitesses : la gentrification ou l'entre soi valorisateur, la périurbanisation ou l'entre soi protecteur et la relégation ou l'entre soi contraint1. Pour contrer la division du corps social, des politiques ont consisté en traitements préférentiels aux groupes assujettis mais les choix de critères pourraient laisser penser que le territoire n'a d'autre fonction que de cibler des groupes ethniques2. On stigmatise une communauté3 en oubliant de traiter le différend humain. La séparation des groupes et des communautés s'apparente à un racisme social et culturel5.

Programme micro-urbain

Le projet est d'abord un programme qui s'occupera de définir une nouvelle distribution sociale et économique des hommes considérés comme des singularités sur le territoire urbain indifférencié6. Nous abandonnons la mécanique fonctionnelle des usages qui répondait à une conception sociale de classes et de communautés pour la remplacer par un machinisme des flux hétérogènes affectant ces singularités. Cette nouvelle subjectivité est animée par la nécessité de travailler l'urbain et l'architecture dans les mécanismes du système capitaliste7. Agencer les forces est la problématique à laquelle tout projet doit se confronter8. La mécanique fonctionnelle des usages se dessine sur un plan horizontal et dans une relation à l'autre immanente : être à côté 9. Une alternative se dessine si l'on ne reste plus dans cette sphère subjective : une distribution verticale et variable des richesses10 peut être expérimentée en tenant compte du libre arbitre des individus (régime des démocratie libérales). Nous ne parlons plus de mixité d'usage mais de relief social (valeur d'échange)11. Ce régime distributif micro urbain (valeur d'échange) a pour exigence une variabilité des richesses des populations. Pour se faire, l'échelle typologique (typogénèse) permettra d'optimiser cette nécessité sociale de mixité et de rupture avec la morphogénèse fonctionnelle d'un macro urbanisme moderne (valeur d'usage).

Relief social

Nous avons voulu avoir un différentiel de richesses dans un agencement spatial (typogénèse) le plus large possible pour aboutir à un pointillisme urbain réceptionnant des variations sociales nouvelles. Etre les uns sur les autres (distributions spatiale, économiques et sociale) implique de la part de chacun à dessiner un peuple dont les échanges et les contacts ne sont plus programmés et identifiables, nous refusons le marketing social, politique et économique. La répartition des affects et des échanges sur un mode vertical se réalise par un mode de construction et de prestations architecturales oscillant dans une même typologie. Le prix de la construction est la variable fondamentale de cet agencement urbain : le micro-urbanisme n'est pas différenciable d'un macro urbanisme par son échelle urbaine mais par les forces moléculaires qui le réalise12.
Parce qu’elle est encore inscrite dans une conception de génération morphologiue de relation des « uns à côté des autres » (mode horizontal de développement), la mixité fonctionnelle n’empêche pas ou peu de constituer une marge des uns et autres (riches et pauvres). Il existe un moyen d’éviter ce phénomène social inhérent à tout système : un agencement urbain qui se dessine sous le régime de « relief social ». Cet agencement ne trouve pas son origine au sein de l’échelle morphologique (tissus urbains) mais se constitue à l’échelle de la typologie. C’est à l’échelle de la cellule urbaine de l’immeuble collectif que se réfléchit ce concept de relief social. Et la grille constitue le cadre de sa propagation à l’échelle morphologique d’où l’importance du gabarit de sa trame définie en fonction de ses obligations de distributions (usages) et de sa résonance avec la poétique du lieu (affects sensibles d’un ancien port industriel).

Immeuble à géométrie sociable variable

C’est au sein même de la conception et de l’économie du projet architectural que la mixité sociale pourra s’accomplir. Un degré de complexité en plus est nécessaire pour assumer cette intention politique : une variabilité de prix moyen au mètre carré de construction sera prise en compte dès les études de faisabilité économiques avec une synergie entre les maîtres d’ouvrage et les maîtres d’œuvre pour accomplir cette dimension politique singulière : le pointillisme urbain et les immeubles à géométrie sociale variable. L’immeuble bourgeois avec son régime distributif et exclusif des richesses contemporain de son époque (ère industrielle) et son agencement spatial hiérarchisant les couches sociales fournit la preuve que l’architecture est l’expression des forces qui l’animent (construction et habitation) dans l’actualité du moment historique d’une société. L’immeuble à géométrie variable en répondant à cette fluctuation du coût de la construction ouvre un nouveau champ d’expression architecturale et définit en même temps de nouvelles approches de conception. En fonction de variables comme la prise en compte de jumelages techniques de construction, des prestations de second œuvre, des degrés d’ouvertures, des agencements spatiaux (double hauteur de plafond…) pour un même type de logement (F1 ,F2,F3…), une distribution spatiale devient l’expression d’une volonté politique de faire de l’architecture et de procéder à influencer de manière forte l’urbanité civile.

 

1- Jacques Donzelot : La ville à trois vitesses, Esprit Mars/Avril 2004, n° 303, pp14-37.
2- Bruno Perreau : l'invention républicaine. éléments d'herméneutique minoritaire. Pouvoirs n°111, Discriminations positive, Ed Seuil, p43.
3- Thomas Kirszbaum : la discrimination positive territoriale : de l'égalité des chances à la mixité urbaine. Pouvoirs n°111, Discriminations positive, Ed Seuil, pp 101-104.
4- Georges Steiner : Grammaires de la création, Ed Gallimard, nrf essais, 2001, p 372.
5- Michael Hardt : la société mondiale de contrôle, Gilles Deleuze, une vie philosophique, ED Institut Synthélabo, Coll les empêcheurs de penser en rond, 1998, p365 : la ségrégation post-moderne remplaçant le racisme biologique moderne.
6- Gilles Deleuze et Félix Guattari ont différencié le fonctionnalisme d'usage et d'utilité d'un fonctionnalisme des flux tout le long de leur réflexions philosophiques.
7- Manfredo Tafuri  a analysé l'architecture comme une production idéologique pris dans des rapports de productions économiques.
8- Toute forme est un composé de forces (Spinoza) affectant et affecté
9- Hubert Damish, Le transfert Manhattan", OMA Rem Koolhass, Ed Electra Moniteur, 1990 : Rem Koolhass avec son concept de congestion programmatique, le manhattanisme, reste dans cet ordre d'idée.
10- Le modèle de l'immeuble bourgeois du 19° siècle a été une expérience adapté à son époque.
11- Jean-françois Lyotard : La condition post-moderne, Ed de Minuit, coll Critiques, 1979 : le savoir abandonne sa valeur d'usage au profit d'une valeur d'échange et cette nouvelle subjectivité s'accorde dans tous les domaines de productions humaines.
12- Gilles Deleuze et Félix Guattari: Mille plateaux  Ed de Minuit, coll Critiques, 1980.